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Channel: Un Italien à Paris
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Laisse-moi ! j'en pince pour toi...

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       Par un bel après-midi ensoleillé à intermittence, je me retrouve à un barbecue peuplé d'intermittents du spectacle. Architectes, costumières, scénographes, âgés de la quarantaine, rigoureusement sans enfants (un seul chien, une chienne, plutôt, Molly), tous très beaux et très cool, voici le public qui compose cette soirée sur les toits de Montreuil, enfumée par le charbon qui cuit lentement la viandes et les légumes coupés par mes mains sans point bénéficier de l'aide de E., un architecte sicilien originaire d'une ville perdue au fin fond des maudites montages siciliennes (pour moi, maudites, en tout cas). Trop rongé par l'angoisse de la perte de ses données stockées sur son iPhone, E. ne pourra pas faire plus que de servir des Ricards bien alcoolisés, pour bien commencer la soirée. 

 

           Nous ne sommes que trois, au début, F., locataire de cet immense loft tout en bois qu'elle devra quitter dans un peu moins d'un mois, E. et moi-même. "Le propriétaire ne veut pas l'avouer mais il veut vendre pour faire du bénéfice. Il est juste gêné par le fait qu'il se la joue homme de gauche impliqué dans la vie de la ville et ne veut pas que son image soit abîmée", m'a dit F. le jour que je l’ai accompagnée visiter l’appartement d’un ami qui quitte, lui aussi, Paris pour suivre outre atlantique sa Dulcinée titulaire d'une très prestigieuse bourse d'étude ". 

 


           screenshot mollami 4.pngC'est un des derniers barbecues en terrasse, donc, un privilège rare, le premier pour moi qui ai connu F. il y a plus de cinq ans dans un bus. C'était l'époque radieuse de ma vie de couple, époque que je croyais destinée à durer éternellement. Le futur avait alors les formes d'une belle fille aux yeux noirs et aux cheveux noirs comme ceux de la femme qui était destinée à faire de moi un homme heureux, père de famille, sa petite fille sur les épaules dans un parc parisien pour en affiner l'œil à la découverte des plantes aromatiques inaccessibles aux bouches des girafes citadines. Cette belle illusion se brisa d'un coup, un beau jour lors d'une fête qui, pour moi, devait signer la consécration de mon amour à l’aide du plus limpide des symboles de l'amour entre un homme et une femme: une bague en or entremêlée que sa créatrice portait à son doigt et que je pensais acheter pour l'anniversaire de ma fiancée.   

 

           Pendant que je songeais à comment faire pour que la bague arrivât magiquement au doigt de la femme toute noire, la vilaine échangeait des regards de chatte sur le toit qui brûle avec un architecte belge. "C'est quoi ton numéro ?", lui demande-t-il, devant moi, dont il ignorait le statut de « compagnon ». Le regard vers moi de la femme noire que je pensais complice traçait déjà le sillage dans lequel elle disparaîtra après le voyage en Sicile (ah, la Sicile… !) qui fut le dernier que nous fîmes ensemble. 

D. "Je ne vois pas ma vie avec toi. Je me vois tout seul". 
F. "Il vient de me le dire, enfin. Il n'arrive pas à penser à sa vie avec moi parce qu'il n'arrive pas à penser sa vie tout court. Il est perdu. Il doit se retrouver et pour cela il renonce à moi"
Moi: "Je pense que tu devrais quitter l'appartement, aujourd'hui même, pour retrouver ton espace à toi"
F. "Pas toute de suite. Ce vendredi, je dois présenter le cas d'une patiente très importante et jeudi, j'ai un entretien pour un poste dans un CMP à Paris. Je tiens cette semaine et samedi je déménage". 

     

           J'allais composer ce texte, dans l'idée de publier à nouveau quelque chose dans mon blog, la première pierre de l'édifice posée (la première phrase, celle qui décide de tout ce qui suivra), lorsque mon portable se mit à sonner : F. Avant même de répondre, je connaissais la raison de l'appel. Finie, sa relation avec S. était finie. Il fallait mettre fin à la jouissance de l'écriture pour se faire oreille patiente qui contient et qui sert à faire résonner la douleur et à lui donner du sens (définition, d'ailleurs, qui s'adapte parfaitement bien aussi à l'écriture). Je réponds. Je ne peux pas ne pas répondre. « Autant intégrer cette longue conversation dans ce texte, elle servira bien à quelque chose », me suis-je dit. 

         

 
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Mais il vaut mieux laisser la parole à la créatrice d’une bague, Marta Rossi, qui joue avec la sacralité de la douleur, la pire et la plus difficile des pierres (tombales) à écarter de son propre chemin.  

 

Pourrais-tu nous parler un peu de toi ? 

 C’est bizarre de parler de moi en sachant que des inconnus pourront me lire, je suis une timide à la base. Du coup j’ai peur de dire des choses qui peuvent être reçues comme figées, alors que je crois être une personne toujours en mouvement, en changement.

Je travaille principalement comme costumière, mais je suis plutôt pluridisciplinaire dans les domaines des arts plastiques et du spectacle, j’aime toucher à tous supports du moment où ils servent à faire passer un message qui me tient au cœur. J’ai fait de la scénographie, des installations d’art environnementale, je chante, je donne des cours d’arts plastiques dans un lycée. Je suis aussi italienne à Paris, comme toi, et c’est un choix conscient du fait que je me plais à l’étranger parce qu’ici rien n’est gagné, tout est à conquérir et sans aucun avantage.

D'où et comment t'est venue cette idée ? 

 La naissance des bagues « Mollami » a été assez bête à vrai dire. Sur un tournage, j’ai mis le ressort d’une des pinces à linge des électros au doigt, je l’ai porté pendant un moment car je le trouvais joli, puis un jour, assise chez moi, en le regardant à ma main, une connexion s’est faite dans mon cerveau entre le mot Molla et Mollami. J’ai pensé alors que je voulais réaliser des bagues pour se quitter, parce que s’il y en avait pour se fiancer, il devait aussi y en avoir pour se quitter, pour une question d’équilibre. Je me suis aussi dite que les gens qui étaient quittés avaient droit à un câlin pour se sentir à nouveau confiants et forts. Ensuite c’est en cherchant un jeu de mot français « laisse-moi j’en pince pour toi » que j’ai étendu l’idée de la bague pour se quitter à l’idée des bagues pour toutes ces relations compliquées « fuis moi que je te suis ». Aujourd’hui on nous apprend à ne pas rester ensemble. J’ai l’impression que tout est fait pour nous enduire à nous tromper, quitter, remplacer rapidement. Alors cette bague se porte comme la trace d’un lien là où il y a l’envie mais aussi la difficulté d’être ensemble.

 

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T'as jamais été quittée ?

 Mais oui bien sûr. Enfin, on ne m’a pas dit « je te quitte », mais j’ai dû mettre fin à une relation que je ne voulais pas terminer et ça m’a fait beaucoup du mal. J’ai eu l’impression d’être déracinée et sans plus de repère. Je pense que ça fait ça de se faire quitter, un tremblement de terre qui nous fait perdre toute confiance et orientation. J’ai mis du temps à m’en remettre, mais j’ai aussi beaucoup appris, surtout à être plus correcte avec les autres. 

 Tu penses quoi de « ne me quitte pas » de Brel ou alors il y-a-t-il une chanson qui te fait pleurer plus que d’autres ?

 « Ne me quitte pas » je l’aime beaucoup dans la version de Nina Simone. Ceci dit, je ne pourrais pas dire à quelqu’un « ne me quitte pas » comme Brel le fait. Je ne peux pas imposer à l’autre ma volonté, obliger quelqu’un à rester avec moi alors qu’il ne le veut pas, ça ne ferait pas un couple heureux, ça limiterait sa liberté et je ne voudrais pas que la mienne le soit. Si j’aime, je veux laisser la liberté à l’autre. Du coup, je lui offre une bague en lui disant « laisse-moi » soit libre et peut-être qu’en lui donnant cette liberté je lui permets de rester. Enfin, j’espère ! Sinon beaucoup de chansons me font pleurer parce que la musique touche des zones fragiles et profondes de moi. Là, par exemple, je reviens juste d’un concert où on m’a invitée à la dernière minute et ça m’a beaucoup émue, j’ai eu les larmes aux yeux par moments.

Tu as déjà quitté quelqu'un ?

 Oui. Et je l’aimais vraiment ! Mais à un moment j’ai eu l’impression que j’avançais dans une direction et lui restait immobile. J’ai tellement souffert en le voyant souffrir que je suis restée quand même fidèle pendant longtemps, alors que lui pas du tout, lui il s’est fait tout de suite d’autres copines ! C’est pas facile de quitter quelqu’un, moi j’attends longtemps avant de le faire, je ne quitte pas sur un coup de tête, j’y réfléchis et si je ne trouve aucune solution je quitte. Après, bon… ça m’est arrivé aussi de ne pas être correcte, de disparaitre sans aucune explication, de partir sans me faire de soucis pour l’autre…mais ce n’étaient pas des vraies histoires d’amour de celles qui se comptent sur les doigts d’une main.

Pourquoi on quitte quelqu'un, selon toi ? 

 Je ne sais pas s’il existe une règle générale pour laquelle on quitte quelqu’un. Il y en a qui quittent pour un autre amour tout frais, je trouve ça un peu lâche et facile, mais en même temps je ne me suis jamais retrouvée dans cette situation, je ne sais pas comment je réagirais. On peut quitter parce que la passion initiale est finie et on pense que l’amour est fini aussi, mais il faudrait faire une différence entre la passion et l’amour. On peut quitter parce qu’on se fait une image de l’autre qui avec peut ne pas correspondre à nos attentes et ça nous déçoit.

Je pense en tous cas que quitter ne soit pas toujours négatif, ça nous fait souffrir, certes, mais la rupture est parfois indispensable pour avancer et si ça ne peut plus avancer à deux, on peut continuer à s’aimer, différemment, chacun de son côté.

 

Pour voir la collection: www.mollami.fr

 

  

Mmg


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